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Le caractère profondément innovant du SYNPER...
jeudi 22 novembre 2018, par
Pour comprendre l’innovation qui est au coeur de la tradition syndicale que porte le SYNPER, il faut prendre le temps de regarder ce qui l’entoure.
Nous avons eu l’occasion d’exprimer auprès du Président de la République notre vive inquiétude quant au fait que, pour la première fois depuis 10 ans, les organisations représentatives se sont unies pour lutter contre « la politique libérale du gouvernement », et cela après une élection difficile, à l’issue de laquelle le Président qui a nommé le gouvernement a affronté au second tour des présidentielles une candidate du Front National, et après que les Français aient clairement confirmé au suffrage universel direct leur souhait de changement en donnant comme groupe majoritaire à l’Assemblée Nationale La République en marche [1].
Moderniser l’action publique face à cette opposition de la démocratie sociale n’est pas une tâche aisée. Nous avons une double analyse des raisons de cette résistance et une solution, pour l’instant expérimentale, à proposer à ceux qui refuse le conflit incessant entre les représentants des intérêts particuliers des travailleurs et l’intérêt de notre pays.
La démocratie citoyenne a forgé une démocratie sociale qui s’oppose à elle. Il est temps de changer les règles de fonctionnement.
Les organisations syndicales sont le produit de notre République. Nous avons, en France, un syndicalisme d’Etat. Le rapport Perruchot met en lumière que nos organisations syndicales ne dépendent qu’à hauteur de 4% des cotisations syndicales [2]. Le reste du financement provient de l’Etat, sous diverses formes, de la subvention aux ressources du paritarisme, en passant par la formation professionnelle ou encore d’autres sources de financement plus contestables, parmi lesquelles les comités d’entreprise des sociétés publiques [3]. Ce syndicalisme ne représente plus que 8% d’adhérents parmis les salariés.
Par son financement massif, l’Etat ne permet pas l’exercice d’une saine compétition. Il fausse la concurrence par le versement d’une rente de situation. La conséquence en est une déconnexion de la représentation avec sa base, figeant le syndicalisme aux années 1945 [4].
Cette responsabilité a amené l’Etat à intervenir. Deux types d’interventions ont été expérimentées : la concentration des organisations syndicales et l’établissement d’un principe de subsidiarité. Ces deux mouvements sont inefficaces. Le premier mouvement favorise un monde carnivore, où la concurrence est faussée par la rente de situation financière. La conséquence est de rendre plus caricatural le monde syndical et non de le faire évoluer. Le second mouvement est plus intéressant car il cherche à faire renaître la démocratie sociale. On ne peut que constater que des contres-pouvoirs ont rapidement été établis par des fédérations qui se sont assurées la soumission de leurs syndicats (fichiers uniques, absence de structure juridique locale).
Si l’Etat souhaite encourager le dialogue social il doit le faire depuis la base, idée que l’on retrouve dans le programme d’Emmanuel Macron par la proposition du chèque syndical. Mais il devra être vigilant à ce que la liberté d’organisation syndicale ne vide pas de sens cette disposition, en permettant de siphonner cette nouvelle source d’argent par l’absence de structure juridique réelle au niveau local (section syndicale). Plus encore, l’Etat ne peut pas espérer un effet de levier s’il maintient en même temps d’autres sources de financement bien plus intéressantes pour les structures fédérales ou confédérales et offre, au delà des rentes financières, des rentes de situation par une multitude de sièges dans des instances à l’efficacité pour une meilleure gouvernance restant à démontrer (CESER, CESE, organismes paritaires nationaux).
La représentation des travailleurs n’est pas fatalement celle de la lutte des classes. Il y a une nécessité impérieuse à permettre à d’autres traditions syndicales d’émerger.
Les organisations syndicales sont devenues dépendantes d’une vision du dialogue social au travers de la lutte des classes. Cette dépendance a créé de la solidarité. Pour la première fois depuis dix ans, 9 organisations syndicales se sont unies contre la politique libérale du gouvernement. La CFE-CGC et la CFTC [5], pourtant non marxistes, ont rejoint le mouvement, démontrant leur faiblesse idéologique et structurelle, ou constatant l’impossibilité d’un discours minoritaire. La situation de la CFDT est plus intéressante encore : après hésitation, elle a renoncé à devenir l’interlocuteur privilégié du nouveau parti politique social-libéral français, La République en marche, jugeant que le socialisme libéral n’était pas soutenable.
Cette volonté de bloquer le pays doit constituer un signal d’alarme pour le peuple français, qui démontre que l’on ne peut plus continuer avec cette représentation faussée de la démocratie sociale sans mettre en danger notre République. La démocratie sociale n’a pas vocation à s’opposer à la démocratie citoyenne. Or tout le syndicalisme français repose sur la charte d’Amiens et son postulat d’une double besogne, celle de défendre le travailleur et celle de faire la révolution (ou réformer la société pour la version édulcorée) [6]. La démocratie sociale s’est fixée comme mission de suppléer la démocratie citoyenne, dans une logique issue du marxisme et vis-à-vis de laquelle elle ne parvient pas à prendre de la distance, jusqu’à dans sa représentation la plus modérée.
Au delà de ce défi politique, enrayant le bon fonctionnement de notre démocratie, ce positionnement présente d’importantes difficultés économiques en remettant en cause le système capitaliste même, en empêchant sa réforme, ses ajustements, sa régulation dans un monde de plus en plus mouvant. Ce faisant, ce positionnement permet aux organisations syndicales de confirmer la pertinence de leur critique radicale du système, mais perd le monopole d’autres formes de critiques et favorise l’apparition de représentations sui generis [7]. Par un effet de dominos, ce défi politique, devient économique, puis d’ordre public, offrant une opportunité pour qui veut déstabiliser notre démocratie en utilisant les mouvements sociaux.
La démocratie à moins à craindre des populismes que de son propre dysfonctionnement. Certains populismes semblent très bien s’accommoder d’une démocratie du renoncement.
Le SYNPER est la démonstration qu’une autre situation peut apparaître permettant aux représentants des travailleurs de participer de façon constructive à la modernisation de l’action publique.
Le SYNPER est dans les trois premières traditions syndicales sur dix. Sa tradition est en train de s’exporter dans d’autres structures qu’au Conseil régional d’Île-de-France où elle a été expérimentée (12 000 agents).
Deux traits de ce syndicalisme expérimental sont intéressants en ce qu’ils révèlent l’émergence d’une représentation syndicale coopérative :
Il s’agit d’une tradition syndicale libérale, européenne et pacifique. Le positionnement idéologique vient combler un vide dans l’offre syndicale. Les salariés ne sont pas hostiles au « doux commerce » [8], et ce dernier est bien celui qui fonde notre action libérale et européenne depuis 1945. Favorable à l’ouverture du monde du privé et du monde du public, soutenant la prime au mérite, refusant un égalitarisme nivelant et le confrontant au mérite républicain, ce syndicalisme offre une approche idéologique très différente de celles existantes.
Il s’agit d’une tradition syndicale qui a émergé et qui s’est développée harmonieusement sans aucun financement public. Elle ne bénéficie d’aucune autre ressource que ses cotisations syndicales. Loin de l’avoir radicalisée, cette indépendance l’a placée en première organisation - souvent seule - conciliant au bénéfice des salariés la modernisation de l’action publique et la recherche d’économie [9].
Cette expérimentation réussie démontre que le paysage syndical actuel n’est pas une fatalité. Elle peut participer à une réflexion sur la bonne mobilisation des moyens et des fonds pour permettre l’émergence d’un monde coopératif permettant aux partenaires sociaux de relever - ensemble - les défis pour défendre un modèle social performant face aux mutations du XXIème siècle.
[1] Le SYNPER a pris position sur ce sujet par différents communiqués :
[2] Sur les trente membres de la commission d’enquête sur le financement des syndicats de salariés et patronaux, seuls neuf participent au vote. Deux centristes votent pour, trois socialistes contre et quatre élus UMP s’abstiennent. Le rapport Perruchot, puisqu’il n’a pas été adopté le 30 novembre 2011, ne sera pas publié officiellement, fait rarissime pour la Ve République. Le journal le Point l’a néanmoins publié.
[3] « Le Livre noir des syndicats » de Rozenn LE SAINT, Erwan SEZNEC, 2016, est intéressant tant par son analyse des modes de financements des organisations syndicales que par les enjeux d’ordre public que provoque l’affaiblissement dangereux de leurs représentativités.
[4] Les appareils syndicaux se sont fossilisés dans une structuration en instances territoriales (UD, UR) et professionnelles (syndicat nationaux), souvent en conflit. Ce couplage d’organisations « géographiques » et d’organisations « métiers » est un héritage de la CGT née en 1895 du rapprochement entre des bourses locales du travail et des organisations de branche. Aucune organisation syndicale n’a remis en cause cette structuration alors que la mouvance du monde économique invite à d’autres approches (uberisation, sans emploi, structuration des groupes, multiplicités des contrats...). Il pourrait être affirmé que le syndicalisme s’est figé non pas depuis 1945 mais depuis son origine.
[5] Pour comprendre la résistance au libéralisme de la CFTC, l’article Le libéralisme ou l’abandon du bien par Joël Hautebert est révélateur.
[6] La charte d’Amiens affirme davantage le rôle politique du syndicalisme que son indépendance vis-à-vis des partis : elle indique explicitement que les syndicats n’ont pas besoin de partis pour changer la société et qu’ils se suffisent à cette tâche.
[7] Les bonnets rouges et les gilets jaunes sont deux contestations que les organisations syndicales n’ont pas su maîtriser ou encadrer. Voir l’article :
18 novembre – Quelle est l’analyse du SYNPER des gilets jaunes ?.
[8] Le « doux commerce » décrit par Montesquieu se présente comme un mécanisme social et non une doctrine économique. Les pères fondateurs de l’Europe l’ont repris comme mécanisme d’une structure pacifique.
[9] La Région Île-de-France est la seule région à avoir baissé ses dépenses de fonctionnement. Ifrap, Régions : les dépenses passées au crible N° 194 • 31 octobre 2018